Retour à Reims [Fragments]

 

Autour de l'adaptation du livre autobiographique du sociologue Didier Eribon Retour à Reims, Jean-Gabriel Périot avec l'appui de nombreuses archives audiovisuelles retrace l'histoire de la classe ouvrière de 1950 à nos jours.

En quelques films, Jean-Gabriel Périot est devenu un analyste perspicace de l'histoire sociale à partir de la confrontation entre les images d'hier et la réflexion contemporaine. Tel était en effet le principe de Nos défaites (2019). Cette fois-ci, il prolonge son investigation avec toujours à ses côtés la précieuse implication d'Emmanuelle Koenig en tant que documentaliste capable de sélectionner les extraits parmi les archives de l'INA d'où émerge une histoire des oubliés de l'histoire officielle.

L'architecture sur laquelle ces images vont pouvoir faire écho est l'adaptation du livre de Didier Eribon Retour à Reims (2009) dont la lecture de quelques « fragments » choisis est opérée par la comédienne engagée Adèle Haenel.

Autour de ces différents intermédiaires, une mise en abîme de l'histoire populaire se manifeste, dans un récit qui part d'un point de vue local et intime pour devenir dans un large élan, surtout dans la seconde partie du film, l'histoire d'une classe ouvrière qui a disparu, fragmentée par une nouvelle forme d'atomisation et de dépendance au travail qui fait exploser la précarité contemporaine.

La première partie du film repose sur le portrait socio-historique de la mère de l'auteur Didier Eribon et à travers elle d'autres femmes doublement méprisées par l'ordre patriarcal.

C'est dès lors toute une mémoire populaire méconnue qui émerge qui, bien qu'elle concerne une grande partie de la population d'alors, est souvent restée dans les oubliettes de l'histoire de France présentée par les manuels scolaires.

Cette association entre les images documentaires mais aussi de fiction de l'époque avec les analyses du sociologue Didier Eribon incarnées par la voix d'Adèle Haenel permet de saisir l'expérience douloureuse d'une construction sociale.

Cette plongée dans les soixante-dix dernières années en France est aussi fascinante que singulière par sa capacité à ouvrir un nombre infini de portes de réflexion sur la société contemporaine.

En effet, la seconde partie avec la disparition de la classe ouvrière dans les discours de la gauche au pouvoir à partir des années 1980, démontre la récupération de cet électorat par l'extrême droite.

Voici un film qui tombe à point nommé pour élargir les débats citoyennes avant les élections présidentielles de 2022.

 

Cédric Lépine
Médiapart
18 novembre 2021